Henri YVERGNIAUX

Professeur de dessin

MARIE GALANTE


Exposée aux « Champs Libres » à RENNES (35)


« LA FEMME EST UNE ÎLE QU’ON DÉCOUVRE LE MATIN ET SAVOURE LE SOIR. »

Cette phrase écrite sur le cartel qui accompagne l’œuvre peinte sur la mezzanine qui domine le hall de l’œuvre de Christian de PORTZAMPARC à Rennes, visible désormais du boulevard, demande quelques explications :
Depuis longtemps, j’étais fasciné par le thème de ‘‘SUZANNE ET LES VIEILLARDS‘’’ du livre de DANIEL dans la Bible.

Avant de m’y intéresser de près, j’avais suivi, dans l’histoire de l’art, ceux qui avaient traité le sujet.
Il fallut qu’un jour je me trouve immobilisé dans une chambre de clinique pour l’approcher en étudiant le ‘‘CANTIQUE DES CANTIQUES ’’ dont la beauté poétique m’enthousiasmait et dont l’auteur serait le roi Salomon en personne. Dès lors, mon problème devint clair : « Comment traduire, à l’aide de mes moyens propres, ces allusions suggestives au corps de l’être aimé et espéré, autrement que par des clichés maintes fois rabâchés ? »

L’impulsion me vint alors que j’exposais en l’honneur de Mario SUAREZ, à l’Institut Franco-Portugais de Lisbonne, en juin 1993.
Le voyage nous avait amenés, Annick et moi, à Moura, l’un des villages maures du Sud de l’Alentejo, près de la frontière espagnole.
Là, un dimanche soir, en prenant le frais sur la terrasse d’un café, nous avions les yeux fixés sur une brochette de vieux assis sur un muret, à l’ombre de grands arbres en fleurs, lorsqu’une créature de rêve, très peu vêtue, arrêta sa ‘‘Mobylette’’ pour leur parler.
Leur sang ne fit qu’un tour, à tel point que j’y vis SUZANNE, la naïve biblique face à ses violeurs potentiels ! Dans ma tête, cogna très fort le dicton populaire à la mode, au temps où je gardais les vaches, à la Libération :

« C’est jeune et ça ne sait pas, c’est vieux et ça ne peut plus ! »


Au retour, le destin se trouva au rendez-vous sous la forme d’une invitation : Un vieux copain de collège refaisait sa vie, et l’heureuse élue s’appelait Suzanne. Quelle chance !
Aussitôt naquit une série de dessins géants illustrant l’évènement. Mais l’idée ne prit sa forme définitive qu’en 2001, lorsque nous nous retrouvâmes pour la dernière fois dans notre paradis d’Algarve : ‘‘La Quinta dos reis’’, à Alcantarilha.
Le cadre me semblait important pour la mettre en forme. Alors, je me mis à rêver tout haut, au bord de la piscine, en plaçant le thème dans la luxuriance de notre Alhambra, à laquelle nous allions dire adieu… Saudade !
La toute dernière des aquarelles dévoila des vieillards devenus squelettes dans un cortège dansant devant le mur ocre rouge de l’Adega, en direction des ébats de mon héroïne dans l’eau claire bordée de grecques bleu-ciel.
Le résultat fut tel que, par réaction, j’y vis une véritable renaissance après des années cauchemardesques, un besoin impératif de travailler longtemps sur une œuvre monumentale, à seule fin de me prouver que j’en étais encore capable.
Mon sang était redevenu pur !
Et cela dura trois ans. J’en étais fier.

D’entrée, je crus bien être parti pour un autoportrait impitoyable : mon squelette virtuel trônait, debout sur un linceul immaculé. Virtuel, oui ! parce qu’en réalité, ce n’est qu’une superposition de radios de bloc opératoire.

Inquiet d’avoir commis des fautes contre l’anatomie rendue très loin dans mes souvenirs, j’appelai donc le Docteur MARTIN qui m’avait sorti des griffes du staphylocoque doré et lui demandai à brûle-pourpoint :
« Docteur, cela ne vous gêne pas de me voir prendre tant de liberté avec ma carcasse ? »
Le sourire aux lèvres, il me renvoya la balle :

« Oh, moi, vous savez, ce n’est pas l’os qui m’intéresse, mais ce qu’il y a dessus ! » C’était très éloquent et déjà un signal très fort.
Et la danse partit de la droite vers un espace qui resta vierge longtemps, seulement symbolisé par un valet de nuit posé devant, arborant, en tant que tête, une couverture de ‘‘Femme Actuelle’’. C’est le moment que choisit Suzanne, la vraie, pour faire irruption dans l’atelier. Hilare, elle s’écria : « Pas triste, hein ! »
Dès lors, je sus que j’avais gagné. Le grand huit couché de l’Infini se mit à bouger, ponctué de trois fleurs de pissenlit en diagonale.
La plus belle, en plein centre, est solidement tenue par une main dans laquelle beaucoup verraient plus facilement une rose rouge.
Dans le détail, je laisse à chacun la liberté d’y voir ce qu’il veut, ou peut, en fonction de sa culture.
Plusieurs fois, au cours de sa genèse, l’œuvre changea de titre. Seul le dernier est significatif car c’est le résultat d’une démarche raisonnée.
C’est au retour d’un séjour en Guadeloupe (Notra Siñora de Guadalupe) que le nom de baptême fut définitivement décidé :

MARIE GALANTE.


L’île des Antilles françaises actuelle n’est pas le site enchanté mis en musique par Laurent VOULZY dans ‘‘Belle Île en Mer, Marie Galante ’’ mais l’île pauvre, marquée du sceau d’un esclavagisme que refuse encore d’admettre les ‘‘touristes organisés’’, malgré les preuves flagrantes. Notre guide créole, Gilles, spécialiste de l’Histoire, ne mâcha pas ses mots et souleva mon indignation face à eux. La danse macabre était là.

Cela se passa dans le cadre tout neuf du QUAI DES RÊVES, à Lamballe, en 2003. Sous l’émotion de mon voyage, je m’étais replongé dans la lecture de ‘‘1492’’ de Jacques ATTALI, et j’y découvris que lorsque Christophe COLOMB revint à Hispagnola, lors de son deuxième voyage, pour récupérer les 30 hommes qu’il avait laissés en garnison dans la carcasse éclatée de la Niña, il n’y trouva que 30 squelettes.

On ne saura jamais s’ils s’étaient ‘‘bouffés’’ entre eux, mutuellement, comme dans ‘‘Mathurin’’, célèbre chanson de Cap-horniers, ou si les gentils Taïnos, dont parle l’écrivain, avaient des rites macabres inconnus, ce qui est dans le domaine du possible. Il devint donc évident pour moi que la Bible avait bel et bien traversé l’Atlantique avec le célèbre conquistador et que, encore pour moi, lorsque la vigie cria « Capesterre ! » en vue d’une île plate comme une galette posée sur l’eau, dans la brume d’un matin de novembre 1493, il le fit en pensant à Edmond HERVÉ et Éric ORSENNA…
De ma fenêtre de l’hôtel Arawak, à Gosiers, on pouvait très bien l’imaginer.

Henri YVERGNIAUX
1ier janvier 2008

Marie Galante

Achevée à Lamballe au Quai des rèves en juin 2003

Donnation à la ville de Rennes en hommage à Edmon Hervé

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