Henri YVERGNIAUX

Professeur de dessin

CE QUE JE CROIS.
Par Henri YVERGNIAUX


Pourquoi prendre, à l’heure actuelle, la peine de dessiner et de peindre un portrait alors que la photo fait si bien les choses ? Très bonne question, en effet. C'est clair !
Avant, pour être capable de fixer quelqu’un sur le papier ou la toile – seule façon de rester dans les mémoires – il fallait se plier aux rudes exigences du dessin d’après l’antique et le modèle vivant. Ingres et Delacroix étaient les maîtres à penser, en écrivant, l’un : « Le dessin est la probité de l’Art » ; l’autre : « Le dessin est la prière du matin du peintre » .

Depuis les ‘‘années 50’’, j’ai fait mes classes dans la méditation du petit livre de Paul Valéry : « Degas, Danse, Dessin ». C’était notre Credo dans une école aujourd’hui disparue, hélas, ‘‘Claude B’’ (*) Puis, j’ai inculqué à mes élèves les bases d’une discipline qui tire tout de l’observation, mère des réalisations : Apprendre à dessiner était apprendre à voir, donc à juger et, par conséquent, accéder aux possibilités de devenir un homme libre.

À propos de moi, Edmond Hervé n’a jamais employé que le terme de ‘‘professeur de dessin’’. Il a persisté et signé.
Au soir de ma vie, je dois enfin reconnaître qu’il a eu raison envers et contre tous ceux qui répugnent à l’effort de regarder le monde en face. Le rêve vient après. Cette espèce d’ ‘‘être spécial’’ à la fois respecté et souvent chahuté est mort de sa belle mort en mai 68, sur l’autel de la démocratisation obligée autant qu’indispensable. Alors est né, dans le tohu-bohu, un moniteur de colonie de vacances appelé ‘‘Professeur d’arts plastiques’’. Je sais de quoi je parle puisqu’ ainsi j’ai commencé, dans l’immédiate après-guerre, en colo ‘‘pour de vrai’’.
Le passage à la condition d’ ‘‘amuseur public’’ ne s’est, certes, pas fait sans mal. Il a fallu entendre, dans la bouche d’inspecteurs généraux, des phrases telles que : « Ah ! Vous avez la prétention d’apprendre à dessiner ; je vous souhaite bien du plaisir ! » Alors certains, persuadés qu’ils étaient dans le vrai, n’ont pas survécu. À qui la faute ?… À Picasso, bien sûr ! Du passé il a fait table rase, comme dans l’Internationale. À 14 ans, il avait été Goya ! Beaucoup ont donc mis la charrue avant les bœufs et ont mordu la poussière. Les Ramblas de Barcelone résonnent toujours de « Picasso Liberté ! » Aujourd’hui, c’est la musique sans solfège et l’on crie « Au secours ! ».

Regarder les gens dans la transparence de leurs yeux est donc devenu mon obsession. Je sais que j’en mourrai. Mais je mourrai heureux de faire équipe avec mon propre fils à qui j’ai enseigné les vertus de la rigueur dans le dessin qui mène à tout et surtout à autre chose. Il était préparé pour la table de l’ingénieur comme d’autres l’ont été pour le cabinet d’architecte. Ensemble, tels Loti, Claudel, Orsenna, nous crapahutons sur le pointillé écrit par Ionesco : « Il n’y a pas de professionnels, il n’y a que des amateurs passionnés. » L’un ‘‘photo outil’’, l’autre ‘‘objectif photo’’, nous essayons de nous compléter. Jacques use de la technique vécue en sacerdoce pour exprimer le regard brillant dans la pure ébène de ceux qui vivent au ras du sol, dans la terre pillée de leurs ancêtres. Le labo argentique nous avait rassemblés.

À 20 ans, je peignais des natures mortes exotiques où trônait, au centre, un buste nègre ramené d’un port de la côte d’Afrique par le commandant Guillard. Son fils, Pierre, était un copain, il l’est toujours. Depuis le début de ses navigations, il proclamait que « Le vrai marin naît et meurt capitaine au long cours ». Comme lui, je suis resté professeur de dessin ; tant pis pour l’artiste, ma croix est devenue plus légère !

(*) Claude Bernard.
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Pierre GUILLARD (1952)


pêche à la ligne (1963)


Benazir BUTO (2007)

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